mercredi 20 janvier 2010
3-Ceux de la maison : Marie-Agnès de la Granville
Depuis une semaine Marie-Agnès dort mal. On lui a confié l'installation d'une exposition temporaire dans le hall de l'entrée. Ce n'est pas tellement cette responsabilité qui lui donne des insomnies. Après tout, elle vient juste de sortir de l' Ecole des Chartes et elle a du dynamisme à revendre. Non, ce qui l'empêche de dormir, c'est le thème de l'exposition : Madame la Conservatrice en chef n'a pas trouvé mieux que de vouloir exposer l' Enfer de la Bibliothèque.
L'Enfer ! L'éducation d'une demoiselle de la Granville ne prépare guère à ce genre de labeur mais Marie-Agnès a un sens aigu du devoir. Elle est allée fouiller jusqu'au dernier cercle de l'Enfer et sur son bureau s'accumulent Boccace, l'Arêtin, Verlaine, Maupassant, Louÿs, Sade bien sûr et des anonymes tous plus empestés les uns que les autres.
Où Marie-Agnès trouve-t-elle la force de mener à bien cette tâche inhumaine ? Devinez... Chaque soir, une fois enfermée à double tour la bête immonde dans son bureau, elle court voir son confesseur. Le père D., vicaire à Saint Melaine, s'est fait une spécialité des amours illégitimes. Il écoute la pauvre Marie-Agnès et l'absout bien naturellement. Il a une tendresse toute particulière pour les vierges effarouchées.
" Sur la plaquette de l'exposition, vous ne mettrez que vos initiales, surtout pas le nom en entier " lui a-t-il conseillé. La réputation d'une demoiselle de la Granville c'est précieux, si on veut la marier...
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Les portraits du petit monde des bibliothèques publiques dépeint un autrefois à la Anatole France revu par Marcel Aymé. Il manque une note pourtant, l'ennui, le pesant ennui du magasinier en banque, des lecteurs dans la salle, la contrainte aussi, la contrainte d'être là dans l'ennui. Et cet air rare et saturé d'injustice.
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