jeudi 28 janvier 2010

Aventure sous les Tropiques

Chers amis visiteurs du blog d'Heffe
Vous devez être épuisés après le Jardingue et le Bestiaire des bibliothèques. Heffe a donc pensé qu'une petite détente était nécessaire avant de remonter le temps et d'aborder la préhistoire. Il a ainsi ménagé des paliers de décompression ou sas d'humour minimal.

mercredi 27 janvier 2010

5- Ceux de la maison : Josette Poulain

L'heure est venue de clore. Nous laisserons ce soin à Josette Poulain, concierge. Elle a sa loge à l'entrée de la bibliothèque, mais on doit reconnaître qu'elle est d'une absolue discrétion. Nous l'imaginerons donc, puisque son existence est attestée sur le registre des employés municipaux. Plutôt petite, vive, les formes généreuses entourées de la blouse bleu ciel réglementaire et mariée à Germain, égoutier à la ville, dont les grandes bottes noires sèchent sur le rebord de la fenêtre.
Josette officiait aux cuisines de l'école Léon Blum quand un jour on lui a proposé la place de concierge à la BM. Et elle a accepté, parce que le logement était bon.
Les hauts murs tapissés de livres gros comme des briques, ça l'a impressionné au début, elle qui ne lit jamais. Et puis, peu à peu, une certaine familiarité s'est installée entre eux et elle.
Le soir, après le dîner, elle fait une petite ronde dans les réserves et elle termine toujours par la salle de lecture. Coco, sa chatte grise, file sous les longues tables et joue avec les rayons de lune. Les encyclopédies, les dictionnaires, les romans se reposent, par centaines, sur les rayons. Seules, au fond, les lumières bleues des ordinateurs assurent la veille. Ce sont tous un peu ses enfants maintenant. Et Josette Poulain referme doucement la grande porte de verre, pour ne pas les réveiller.

mardi 26 janvier 2010

4- A deux : Yves de Hautecloche et Martial Lafouine


Le combat de deux grands mâles est toujours un spectacle de qualité, apprécié des connaisseurs. Ici, la femelle n'en est jamais l'enjeu, mais elle peut, par sa présence, faire durer les hostilités au-delà des limites que l'âge des adversaires voudrait brèves. L'enjeu, ou plus exactement l'objet de leur convoitise est l'unique exemplaire du FIGARO.
A gauche, le baron Yves du Theil de Hautecloche, colonel de cavalerie (CR) : 3 guerres, 3 défaites. A droite, Martial Lafouine, ancien chef du service des huiles usées à l'Intendance de la IIIème Région Militaire.
Les subtilités de l'art de la guerre sont oubliées et la rudesse du pugilat reprend ici ses droits. Peut-être les rhumatismes du baron vont-ils cette fois-ci lui jouer un mauvais tour...
L'issue du combat est incertaine mais le FIGARO, lui, y laissera quelques feuilles.

mercredi 20 janvier 2010

4- Ceux de la maison : Muriel


Quand Muriel est là, toute la Bibliothèque rajeunit de 20 ans. Elle a hérité de la blouse bleue de Monsieur Robert quand celui-ci est parti à la retraite voilà déjà 6 mois. Elle flotte un peu dedans mais elle est la première à en rire. Ah, le rire de Muriel ! Jamais fâchée, toujours contente." Vous avez oublié quelque chose devant la cote, Monsieur. C'est certainement un dépôt légal. Il faut mettre DL, suivi du chiffre. Sinon je vais me perdre dans les réserves. Vous voulez que je me perde dans les réserves, Monsieur ?" Et Monsieur X rigole avec elle.
Lorsqu'elle n'a pas de client, Muriel sort un calepin et un crayon de sa grande poche et croque discrètement les hôtes de la salle de lecture. Elle doit préparer un recueil de caricatures... Car la banque de prêt où officie Muriel est un lieu idéal d'observation.
Malheureusement pour nous - comme pour elle - Muriel n'est là qu'un jour sur deux. Je soupçonne quelque conservateur des étages supérieurs de se la garder pour lui tout seul. Il aime très certainement se faire croquer.

3-Ceux de la maison : Marie-Agnès de la Granville


Depuis une semaine Marie-Agnès dort mal. On lui a confié l'installation d'une exposition temporaire dans le hall de l'entrée. Ce n'est pas tellement cette responsabilité qui lui donne des insomnies. Après tout, elle vient juste de sortir de l' Ecole des Chartes et elle a du dynamisme à revendre. Non, ce qui l'empêche de dormir, c'est le thème de l'exposition : Madame la Conservatrice en chef n'a pas trouvé mieux que de vouloir exposer l' Enfer de la Bibliothèque.
L'Enfer ! L'éducation d'une demoiselle de la Granville ne prépare guère à ce genre de labeur mais Marie-Agnès a un sens aigu du devoir. Elle est allée fouiller jusqu'au dernier cercle de l'Enfer et sur son bureau s'accumulent Boccace, l'Arêtin, Verlaine, Maupassant, Louÿs, Sade bien sûr et des anonymes tous plus empestés les uns que les autres.
Où Marie-Agnès trouve-t-elle la force de mener à bien cette tâche inhumaine ? Devinez... Chaque soir, une fois enfermée à double tour la bête immonde dans son bureau, elle court voir son confesseur. Le père D., vicaire à Saint Melaine, s'est fait une spécialité des amours illégitimes. Il écoute la pauvre Marie-Agnès et l'absout bien naturellement. Il a une tendresse toute particulière pour les vierges effarouchées.
" Sur la plaquette de l'exposition, vous ne mettrez que vos initiales, surtout pas le nom en entier " lui a-t-il conseillé. La réputation d'une demoiselle de la Granville c'est précieux, si on veut la marier...

mardi 19 janvier 2010

2-Ceux de la maison : Noël Guidecoq


La grande affaire de Noël Guidecoq, c'est le fonds Pinet. Tout le monde connaît le Président Pinet dont le nom est associé au redressement du Franc. On connaît moins bien la passion qui le dévora pendant toute sa vie consacrée à la rigueur économique.
Lorsque Madame la Conservatrice proposa à Noël Guidecoq la charge du fonds que la famille Pinet venait de léguer à la Bibliothèque, celui-ci accepta avec enthousiasme. Pauvre Noël Guidecoq, il ne savait pas que sa vie tranquille de conservateur en serait révolutionnée.
Cela fait maintenant 5 ans que celui-ci n'arrête pas d'inventorier, classer, étiqueter, numériser la prodigieuse collection du célèbre homme politique. Sur les rayons s'alignent les centaines d'ouvrages consacrés à la passion secrète du Président Pinet : l'histoire du sous-vêtement féminin de 1842 à nos jours. Pourquoi 1842 ? Mystère... Noël Guidecoq travaille d'arrache-pied pour préparer l'oeuvre de sa vie : l'inventaire commenté de la collection qu'il égaiera de photos inédites. Car le Président Pinet, lorsqu'il eut estimé qu'il avait fait le tour de la question sur le plan de la bibliophilie, s'était lancé dans la collection des petites culottes de femmes célèbres. Et la Bibliothèque a AUSSI hérité des petites culottes, par centaines. De nombreux spécimens sont déchirés, malheureusement : L'usure du temps, des scènes houleuses, des galants trop empresés ?
Noël Guidecoq a engagé une repriseuse en dentelles. Parfois, en fin d'après-midi, lorsque le blues du conservateur l'envahit, il la rejoint et ils contemplent en silence les fantômes vaporeux des gloires passées.




1-Ceux de la maison : Bubu


Tout le personnel de la Bibliothèque municipale l'appelle Bubu. Bubu, c'est Bucéphale, le vélo de Madame la Conservatrice en chef. Une méchante haridelle verte d'origine incertaine, munie sur son arrière-train de sacoches de toile délavée, suffisamment vastes pour recevoir les emplettes de sa maîtresse. Passionnée de gastronomie, Madame la Conservatrice n'a pas son pareil pour dénicher la dernière trouvaille d'un charcutier à l'ancienne ou la petite merveille de bibliophilie culinaire d'un bouquiniste de la vieille ville. Dans le fond des sacoches de Bubu, il n'est pas rare qu'une édition originale des " Médiations de gastronomie transcendante " voisine avec une sublime saucisse de Morteau aux truffes ou un Münster fermier affiné sur un lit de fougères du col de la Schlucht.
Mais pourquoi Bucéphale me direz-vous ?... Si j'en crois les confidences d'un conservateur malicieux, Madame la Conservatrice a tout d'un Alexandre en jupons.
Comme elle se sentait à l'étroit dans les murs de sa vénérable bibliothèque, elle a décidé un jour d'étendre son empire et en dix ans la ville s'est couverte de petites colonies vouées au plaisir de la lecture. Pas un quartier n'a échappé à cette volonté inflexible et un escadron de bibliobus va même apporter la bonne nouvelle jusque dans les contrées inhospitalières des ZUP péri-urbaines.
Et les annexes de la Bibliothèque reçoivent souvent la visite inopinée de Madame la Conservatrice en chef, toujours juchée sur son fidèle Bubu, comme il se doit.

dimanche 17 janvier 2010

4-A deux : Max Pigeon et Clara Goldberg


On peut dire, sans grande chance de se tromper, que ces deux-là ont trouvé leur paradis : le secteur des atlas de la salle de lecture, à droite, juste après l'entrée. Leur grande passion, c'est les voyages. Mais il n'y a pas d'argent chez eux, ou si peu. Et ils savent bien, sans argent, pas de voyages. Alors, ils voyagent dans les grands atlas.
Aujourd'hui ils explorent la corne de l'Afrique. Le rose pâle de l'Abyssinie tranche sur l'outremer profond du golfe d'Aden. Pas une tâche verte. Ah si, mais bien plus bas. Le doigt de Clara remonte vers le Nord et s'égare sur les hauteurs d'Asmara. 4620m ! Tu te rends compte, presqu'autant que le Mont Blanc ! Et la Mer Rouge qui s'enfonce comme une langue dans ces déserts sans fin. Max a pris la main de Clara. Sa Clara. Sa petite reine de Saba. Et ils accostent ensemble, là-bas, tout au fond du golfe d'Akaba. ISRAEL ! La Terre Promise ! Les yeux de Max brillent. Les queues du Pôle emploi ? Les perfusions du RSA ? Les affres du chômage ? La magie de la carte et des noms est en train d'opérer. Deux billets d'avion, ça ne doit pas être aussi cher que cela. Tu ne penses pas, Max ? Si. Deux billets-Aller. Sans retour ? Sans retour.
Le coeur de Clara bat à tout rompre. Ils viennent de prendre la décision de leur vie. Par la fenêtre ils aperçoivent le pauvre Magnolia qui gémit sous le vent d'automne. Mais leur tête est pleine de citronniers, d'orangers - par milliers.

vendredi 15 janvier 2010

3-A deux : Evelyne Braquetout


Pour observer Evelyne Braquetout ce n'est pas difficile. Il faut être là, au bon moment, le mardi et le vendredi à 14h20 précises. L'observation est toujours rapide mais d'une densité à combler le naturaliste le plus exigeant. A 14h25 Evelyne arrive dans sa petite Smart couleur miel et se gare sur l'emplacement réservé au bibliobus. La portière qui claque et le tactactac des talons sur le carrelage du hall d'entrée. La belle relève ses lunettes de soleil et cueille L'AUTOJOURNAL sur le présentoir. Toute la rangée des lecteurs mâles s'est retournée : c'est SAVANE de chez Guerlain qui fait son effet. Quelques mouvements de chevelure plutôt réussis, des étirements lascifs des membres supérieurs. Le rituel de la parade bat son plein. Evelyne Braquetout se sent observée. Vous ne vous en êtes pas aperçu mais le promis est arrivé dans le hall à 14h35 exactement. Laurent C. n'entre jamais dans la salle de lecture. Evelyne l'a vu et se dirige vers lui. Tous les coeurs mâles de la salle battent à se rompre. Mais le couple a déjà disparu. Bruit de moteur dans la cour. Eclair couleur miel dans la rue.
Le rendez-vous n'aura duré que le temps de votre lecture. Seuls flottent dans le grand hall de la Bibliothèque des parfums de musc et de savane, promesse de délices adultères en quelque nid secret.

jeudi 14 janvier 2010

2- A deux : Marie-Lou Rassineux


Un jour Marie-Lou Rassineux est arrivée de la Fac de Médecine avec cours et cabas. Là-haut c'était l'enfer dans la Bibliothèque universitaire surpeuplée. Elle est donc venue à la Bibliothèque municipale, comme ça, pour voir. Et elle est restée. Les études de médecine, c'est long, et cela fait bien des années qu'on la connaît. Peut-être fait-elle maintenant une spécialité.
Ele a posé son dévolu sur la dernière place au fond de la salle, près des usuels de mathématiques que personne n'ose approcher. C'est l'endroit le plus tranquille de la salle de lecture. Vous la reconnaîtrez aux impressionnantes piles de polycopiés d'anatomie et de pathologies diverses. Armée d'un surligneur fluo elle abat un travail dément. J'ai un petit faible pour Marie-Lou : Une telle capacité à ingurgiter placidement des maladies horribles m'impressionne.
Depuis quelques temps Sébastien Tastevin vient la rejoindre. C'est un bûcheur aux longs cours, lui aussi. Il est en cardiologie. Quelque chose me dit qu'entre eux c'est une affaire de coeur.

mercredi 13 janvier 2010

1-A deux : Les prédateurs


Dans l'acte de prédation le mâle précède toujours la femelle. A travers les portes en verre de la salle de lecture, il a déjà repéré ses proies. Elles n'ont plus aucune chance. Un rapide coup d'oeil circulaire pour vérifier la présence d'un adversaire et il se précipite en utilisant l'énergie de ses deux courtes pattes musculeuses. Le reste du corps suit. D'un geste bref il arrache le FIGARO MAGAZINE de son support et par un petit saut non dépourvu de grâce féline il cueille le PELERIN sur les hauteurs du présentoir. Madame accueille en hommage sa friandise hebdomadaire et le couple - brusquement apaisé - rejoint l'ombre des grands atlas pour accomplir le rite de la dévoration.

mardi 12 janvier 2010

3-Quelques maniaques : Betty Roquefort


Avec ses longs cheveux couleur filasse et sa grosse veste en pure laine écrue qu'elle a tricotée elle-même, Betty fait son petit effet surtout lorsqu'elle met son patte d'Ef rose. Cela n'arrive qu'une fois par mois, le 1er jeudi de chaque mois plus exactement. C'est le jour de l'Impatient-Alternative santé et pour rien au monde Betty ne voudrait le rater. L'Impatient, la revue de la médecine douce, " celle qui fait plus que soigner l'homme, qui le respecte ". Betty, en effet, ne se soigne plus que par les plantes qu'elle va cueillir dans les fossés ou qu'elle fait venir de fort loin. Betty prend des notes. C'est fou les conseils que l'on peut trouver dans L'Impatient : " Adhérez au mouvement pour l'abolition totale de la cortisone " " Comment réussir une tisane de douce-amère, merveilleuse contre l'arthrose ".
Betty Roquefort est au Nirvana. Elle en oublierait presque sa prise de 16h. Non... Elle sort un petit tube de plastique bleu de sa poche, le débouche, remplit le couvercle doseur de 4 minuscules granules de sucre blanc et les avale d'un coup :
SENECIO 9 CH. Excellent pour le retard des règles. Dix ans qu'elle les attend, ses règles. Dix ans qu'elle prend ses petits granules. Betty Roquefort est une adepte de l'homéopathie. D'une fidélité absolue.

2-Quelques maniaques : Hubert Grosvarlet


Une fréquentation assidue de la salle de lecture vous sera nécessaire pour découvrir le secret d'Hubert Grosvarlet. La quarantaine avachie et le cheveu rare, rien ne le distingue des autres professeurs de Lettres classiques du quartier des dictionnaires. Mais approchons nous discrètement et observons.
Hubert revient de la banque de prêt, les bras remplis d'in-quartos aux lourdes reliures. Il s'assoit et pose une demi-pile à sa gauche et une autre à sa droite, comme pour se protéger. Puis il sort de sa poche " Le petit traité de folklore hurepoix - Paris 1886 ". Ne vous étonnez pas. Eté comme hiver, jour de Gras comme jour de Carême, c'est toujours le même livre.
Il en caresse amoureusement le dos, lisse la tranche de ses doigts fuselés et ouvre enfin l'opuscule qui écarte ses feuilles consentantes.
On peut raisonnablement penser qu' Hubert Grosvarlet connaît alors les délices de la volupté.

1-Quelques maniaques : Louis Brugnon


Arrêtons-nous un instant sur ce petit homme aux cheveux gras qui se dissimule derrière son vieux journal jauni. Rien ne le distingue des autres lecteurs de la salle si ce n'est peut-être ses petits coups d'oeil inquiets qu'il lance sur ses voisins. Ne nous y fions pas. Louis Brugnon - puisque c'est de lui qu'il s'agit - est un martyr.
Comme son père avant lui, il a voué sa vie au Maréchal. Il le sait, les grandes idées du Maréchal sauveront un jour la France. Une France à l'agonie et la clique au pouvoir qui la vend au plus offrant... Un vrai complot internationaliste contre la Patrie et la Famille. Ah ça non, il ne faut pas chercher bien loin pour LES trouver. ILS sont partout. Tenez, regardez cette petite blondasse qui fait semblant de feuilleter Le Monde, ce torchon judéo-maçonnique. Elle m'espionne, c'est évident ! Quand je serai devenu trop gênant, ILS me feront disparaître...
Alors Louis Brugnon disparaît un peu plus derrière ses grandes feuilles. Il souffre en silence. Et il attend son heure.

lundi 11 janvier 2010

3-Profs et élèves : Samantha Beaugendre

Sous le grand Magnolia, c'est une vraie neige de pétales. Les dernières fleurs s'accrochent encore un peu aux rameaux. Après la féérie de la floraison, le spectacle a quelque chose de poignant.
Samantha Beaugendre n'arrive pas à détacher son regard du Magnolia. On la dirait hypnotisée. Ses paupières tombent et la tête doucement se pose sur la main qui l'accueille. Samantha s'est assoupie. Deux heures de basket ce matin, c'est beaucoup quand on a douze ans. Et ce devoir de français pour demain et les problèmes de géométrie... Bouh ! Sa tête est de plus en plus lourde et ses longues boucles blondes tombent en avalanche sur le livre ouvert du " Pays des Merveilles ". Quelque chose a remué dans les pétales blancs du Magnolia. On dirait...
"Sans perdre une seconde et sans se demander comment elle pourrait revenir sur terre, Alice suivit le lapin dans le terrier... " Le grand livre s'est refermé doucement mais Samantha est déjà partie loin, très loin, dans les entrailles du Magnolia.
Bon voyage, Samantha. Tu peux compter sur nous, on ne te réveillera pas.

dimanche 10 janvier 2010

2-Profs et élèves : Paulette Baglione

Vous ne verrez jamais Paulette Baglione détendue. Elle vient à la Bibliothèque comme on vient au supplice. Paulette enseigne la philosophie tout près d'ici et chaque lundi lui échoit un lourd paquet de copies dans lesquelles les futurs bacheliers s'essaient douloureusement à l'art subtil de la dialectique.
Cet après-midi elle a décidé de corriger dix copies doubles. Au bout de deux déjà l'ennui s'est emparé d'elle et la tentation commence. Un petit chocolat au distributeur ? Quelques bouffées de cigarette devant la porte ? Allez, tiens, juste un regard sur GEO qui l'aguiche avec sa couverture glacée. Il suffit de tendre le bras...
Pauvre Paulette. Elle va bien avoir du mal à tenir son programme de correction. Elle le sait, elle reviendra demain et verra sûrement sa collègue de l'Institution Jean XXIII qui a un paquet sur la conscience. Et elles se liront quelques perles, en essayant de rire en silence, comme il se doit.

vendredi 8 janvier 2010

1-Profs et élèves : Big Ben


Il n'a pas fallu longtemps pour baptiser Monsieur F. Un jour quelqu'un a lancé : " Tiens, voilà Big Ben ! " Ca a suffi. Le surnom est excellent et depuis il ne l'a plus jamais quitté. Il faut dire que même assis il dépasse tous les autres lecteurs d'une tête - qu'il a d'ailleurs bizarrement réduite. Cette dimension annapurnesque ne suffirait pas à justifier l'appellation de Big Ben. Non. Il a aussi été pendant 30 ans professeur d'anglais au collège Alfred Jarry et surtout il est l'illustre auteur d'un air de rock que l'on rangera dans la catégorie pédagogique : " Let's go Baby for Sinceforago !"Un grand succès d'estime dans les classes de 5ème des années quatre-vingt. L'année de son départ à la retraite il a bien essayé de renouer avec le succès en lançant le " Rap du cas possessif " mais ça n'a pas marché et Big Ben ne s'est jamais vraiment remis de son échec.
Invariablement vêtu de son antique Burberry mastic, Big Ben vient lire le Times à 16h précises. Lorsque le moral baisse il s'offre la lecture d'une année de " Punch " que la Bibliothèque garde précieusement dans ses réserves. Mais l'humour ne suffit pas toujours. Alors Big Ben sort de sa poche une petite flasque d'argent et se désaltère discrètement à la meilleure source qui soit : un Single Malt des Iles au léger goût de tourbe. C'est sa façon de communier avec ce que la Grande Bretagne fait de mieux.
Mais il communie parfois un peu trop et lorsqu'il se lève de son siège, Big Ben a un petit air de la Tour de Pise en marche...

jeudi 7 janvier 2010

5-Les Fâcheux : Charles-Henri Tubeuf


La salle publique de lecture de la Bibliothèque est un lieu paisible, particulièrement propice au plaisir solitaire de la lecture. Malheureusement le gentil peuple des lecteurs est souvent troublé par l'arrivée d'un membre de la terrible confrérie des Fâcheux.
Charles-Henri Tubeuf est de ceux-là. Au-début, rien ne le différencie des autres lecteurs. Il a d'ailleurs commencé sa consommation quotidienne de magazines dans un silence presque parfait. Chers lecteurs, mes frères, jouissez bien de ces derniers moments de tranquillité car Charles-Henri va bientôt entrer en action. Un petit détail devrait retenir votre attention... Nous sommes le 8 juin, un soleil généreux inonde la salle de lecture et pourtant Charles-Henri s'est entouré le cou d'une grosse écharpe de laine... Ne cherchez plus. La crise vient juste d'éclater et elle va durer un bon quart d'heure.
Charles-Henri est devenu rouge et il inonde ses voisins d'une magistrale quinte de toux : une véritable canonnade qui stupéfie l'entourage. Il éructe, bave, s'étrangle. Il a la lippe pendante et les yeux exorbités. La respiration manque, puis la toux s'arrête. Simple accalmie. Elle reprend de plus belle, s'amplifie et atteint des sommets gutturaux de la plus belle facture. Son vis-à-vis, une jeune étudiante vietnamienne en immersion linguistique est terrorisée et se protège du mieux qu'elle peut des projections. Elle a de la chance, aujourd'hui, car la toux est sèche. En hiver, elle est grasse et dure des heures.
Ouf ! Charles-Henri vient de partir. Mademoiselle Phong respire. Son héroïsme a des limites. Elle range ses manuels car elle est pressée. Ce soir elle va au concert Mozart avec ses camarades de l'échange culturel. Pauvre Mademoiselle Phong, si elle savait... Charles-Henri y sera aussi. Il adore Mozart.

mardi 5 janvier 2010

4-Les Fâcheux : Fanny Larumeur


Avec Fanny Larumeur nous entrons dans le club des papoteuses. La papoteuse ! L'ennemi juré du lecteur !
Vous êtes bien tranquillement installé à votre place favorite. Votre recherche sur la fille naturelle d'Alfred Jarry est bien lancée et, pour tout dire, vous êtes heureux d'être là, quand... LA Fanny arrive... N'espérez pas lui échapper. Elle a déjà repéré votre voisine qui transpire sur les arrêts de la Cour de Casse. C'est fini. Vous allez avoir droit à tous les potins de la Fac. La Fanny les connaît tous et elle veut les partager avec sa bonne copine Sabrina qui se dessèche un peu en Droit. Insupportable ! Qu'elle arrête de caqueter, nom d'une pipe ! Tout y passe. Et Luigi qui sort avec cette idiote de Charlotte, et la soirée chez Coco qui était nulle, j'te dis pas... Vous allez éclater. Ouf ! Une place se libère juste en face et Fanny s'y précipite. Oh non... Pourvu qu'elle ne remette pas ça avec sa nouvelle voisine. Ah, c'est toi ? Ca va ? Ca fait un bail qu'on ne s'est vu...
Arrêtons de tirer à boulets rouges sur cette enquiquineuse de Fanny Larumeur. Car le virus du bavardage s'attrape vite. C'est une maladie plutôt féminine mais les lecteurs mâles ne sont pas à l'abri, loin de là !
Votre attention fléchit, la fille naturelle d'Alfred Jarry commence à vous sortir par les trous de nez et un vieux copain de Fac vient à passer dans la travée centrale. C'est fini. C'est à votre tour d'être pris. Vous avez tellement de choses à vous raconter ! Fanny Larumeur qui s'était enfin mise au travail, vous fixe d'un regard lourd de reproches... A l'évidence, vous l'enquiquinez...
Il y a des jours où la salle de lecture publique de la bibliothèque devient un Enfer.